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En 1907, Evelyn Wyld, une amie d’enfance, issue d’une famille anglaise aisée, retrouve Eileen Gray à Paris. Toutes deux s’apprécient, partageant une indépendance d’esprit et un caractère affirmé. Elles décident de s’associer dans la fabrication et la vente de tapis. Elles partent toutes deux au Maroc apprendre les techniques du tissage et de la coloration. Chacune occupe un rôle bien précis : à Eileen la création du dessin et le choix des couleurs et à Evelyn la partie technique, de la commande de la laine en provenance d’Auvergne à la teinture et à la supervision du tissage. Elles installent leur atelier de fabrication dans un petit appartement de la rue Visconti et engagent des tisseuses. Au meilleur de leur activité - il fallut néanmoins attendre une dizaine d’années - elles employèrent jusqu’à huit personnes. Les tapis, dont la réalisation était beaucoup plus simple que les créations en laque et le coût de revient bien moins élevé, remportaient un vif succès auprès de la clientèle de la galerie Jean Désert qui plébiscitait les motifs géométriques de l’artiste. En effet, Eileen Gray ne cachait pas sa préférence pour la création de tapis : elle pouvait enfin créer des compositions abstraites que ne lui permettaient pas les supports laqués. Elle suit avec grand intérêt les parutions du mouvement De Stijl fondé en 1917 par Theo Van Doesburg, Piet Mondrian, Vilmos Huszàr et Bart Van Der Leck. A l’automne 1923, Léonce Rosenberg expose avec succès dans sa galerie de L’Effort Moderne les artistes hollandais de ce mouvement. Eileen Gray partage leurs idées selon lesquelles l’emploi de formes géométriques doit être à la base de tout art, architecture, peinture, sculpture, mobilier pour atteindre « l’état d’harmonie idéale ». Notre tapis est un hommage non dissimulé au mouvement De Stijl avec un jeu de lignes plus ou moins épaisses et leurs rapports avec des formes géométriques sur la base du carré. L’artiste donne à ce dessin une touche plus féminine avec un choix de coloris doux, amande et noir qui se répondent. Eileen Gray décline plusieurs versions de ce tapis, fidèle à son goût de la variation sur le même thème : aux couleurs et au dessin inversés (photographie de la devanture de la galerie Jean Désert) ou avec un carré rouge (L’Art International d’Aujourd’hui, « Tapis et tissus présentés par Sonia Delaunay, planche 22). Chacune de ses créations portait un nom puisé dans le répertoire antique (« Ulysse », « Hannibal »), ou bien inspiré de la vie quotidienne ou culturelle (« Tennis » ou « Footit » en référence à un duo célèbre de clowns) ou encore tiré de sa vie personnelle (« E » et « D » pour Eileen et Damia). Notre tapis pourrait se prénommer « De Stijl », et si ce titre reste incertain en raison du manque de documents sur l’œuvre d’Eileen Gray, il ne trahirait pas ses intentions. Sources : -          Peter Adam, « Eileen Gray, architect, designer, a biography », Thames and Hudson, Londres, 1987 et réédité en 2000, pages 60 à 63, 125, 158 à162. -          Carsten-Peter Warnecke, « De Stijl 1917-1931 », Editions Taschen, Cologne 1991.
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