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Une création originale de Michel Roux-Spitz ou « le meuble comme métaphore de l’architecture » C’est peu dire que Michel Roux-Spitz était architecte ! Il en est la quintessence : son père l’était, son beau-père également et ses deux enfants le deviendront à leur tour : l’architecture comme un destin à assumer et à transmettre ! Tel est le fil conducteur d’une carrière commencée très jeune à Lyon dans un tissu relationnel privilégié et l’appui de Tony Garnier, chef de l’école rationnelle lyonnaise. Moins par goût que par nécessité, le jeune homme d’abord tenté par la musique, gravit sans faute le « cursum honorum » classique et décrocha en 1920 le sésame pour la Villa Médicis. Bientôt lassé par les travaux d’école désuets que l’on imposait aux pensionnaires, Michel Roux-Spitz écourte son séjour romain et en 1923 rentre à Paris (avec promesse de consacrer sa quatrième année au relevé des arènes de Lutèce), mais en réalité pour se marier, s’établir à son compte et participer à l’Exposition Internationale qui mobilise alors tous les talents créatifs. Grâce à Charles Plumet, architecte en chef de la manifestation, Michel Roux-Spitz obtient la commande d’une “galerie d’art et d’un hall d’attente d’un Ministère des Beaux-Arts” annexés à l’Ambassade française, réalisations qui lui permettent d’être coopté par la Société des Artistes Décorateurs au sein de laquelle il exposera de 1926 à 1930. Notons que la disposition trapézoïdale en aplomb de la fontaine ornant le hall de 1925 se retrouvera comme un élément récurrent de la plupart des façades conçues à Paris dans les années suivantes alors que simultanément Roux-Spitz s’essaie avec succès à l’aménagement intérieur et au mobilier. Activités lucratives qu’il annexe à sa carrière d’architecte, avec la volonté de conquérir une clientèle parisienne aisée qui se pique de modernité et apprécie la double caution qu’incarne Michel Roux-Spitz, architecte et décorateur. Entre 1925 et 1931, il conçoit, édifie et parfois décore - entre autres constructions parisiennes - six immeubles d’habitation et un immeuble de bureaux pour la société Ford, réalisations qu’il prend soin de valoriser en 1933 par une publication luxueuse, illustrée de photographies et de plans, intitulée simplement, mais non sans orgueil : “Réalisations”. Éditée à compte d’auteur, cette “automonographie” (*) sélectionne les seuls immeubles synthétisant le style Roux-Spitz, moderne et classique à la fois : façades blanches et lisses en pierre d’Hauteville à la modénature stricte et systématique, à l’ordonnancement identique. Seul, l’immeuble Ford, construit en 1930 à l’angle du boulevard des Italiens et de la rue du Helder, déroge par sa situation angulaire à cette esthétique de façade plane. Bien que transformé en temple de la restauration rapide, l’édifice typiquement Art Déco, conserve sans agressivité, une allure résolument moderne. Modernité et harmonie néoclassique que Michel Roux-Spitz transpose magistralement dans le cabinet d’architecte installé au rez-de-chaussée du complexe immobilier construit Porte de la Muette sur un îlot délimité par l’avenue Henri Martin, les rues Franqueville, Litolff (aujourd’hui Georges Leygues) et Octave Feuillet. Chacun de ses projets intérieurs procède d’un programme architectural est rigoureusement conçu et développé dans ses moindres détails selon des vues rationnelles. Roux-Spitz n’est pas un improvisateur, mais un administrateur. Et ce n’est sans doute pas un hasard si le cabinet de travail exposé au XXème Salon des Artistes Décorateurs en 1930, est dénommé “bureau d’un administrateur”. En réalité, c’est celui qu’il a conçu pour son propre usage et qu’il met en place l’année suivante au rez-de-chaussée du 33 rue Octave Feuillet, comme un modèle d’efficacité illustrant l’alliance maîtrisée entre architecture et décoration. La cinquantaine de collaborateurs répartis dans des bureaux distincts sont en permanence sous le contrôle du maître d’œuvre qui “administre” plus qu’il ne préside son agence, ainsi que l’écrit Armand Pierhal en 1932 dans l’Art Vivant : « Dès le vestibule, des glaces transparentes, à droite et à gauche, permettent de saisir en enfilade l’ensemble des locaux occupés par le personnel. On devine qu’ici l’œil du maître veut que rien ne lui échappe... Le morceau de résistance sera, bien entendu, le bureau sur lequel on se trouve appelé à étaler des plans de grandes dimensions. Aussi a-t-il l’aspect d’une immense plage nue, toute lisse, qu’aucun bibelot ne saurait encombrer... L’architecte est assis derrière ce bureau dont la large surface le sépare du visiteur. Il tourne le dos au jour. À sa gauche, l’appareil téléphonique, avec les boutons d’appel de tous les services, casiers inférieurs pour le fichier d’adresses et les annuaires ». Soumettant l’aménagement intérieur aux normes de la construction, Roux-Spitz élabore en architecte les éléments de travail, de classement et de repos, ou plutôt il les conçoit dans un continuum qui synthétise les différentes fonctions à remplir, en évitant la juxtaposition plus ou moins désordonnée d’un bureau « normal » de direction. Et dans ce lieu stratégique où il peut surveiller le suivi des chantiers sur lesquels il se rend rarement, le maître des lieux, assis sur un fauteuil confortable de faible empâtement pivotant sur son socle, peut s’adonner au travail solitaire, éclairé par la lampe de Perzel enchâssée dans le plateau, tel un fanal. Il peut également recevoir ses clients dans une ambiance conviviale mais feutrée. Structuré et polymorphe, et même amputé des éléments qui le raccordaient aux bibliothèques murales, ce bureau multifonctions que prolonge en équerre un élégant canapé en bois et cuir, appartient davantage à l’architecture qu’au mobilier ; il peut se voir et s’apprécier comme une métaphore architecturale, complexe mais évidente, dès lors qu’on sait la déchiffrer. Cet ensemble articulé mais homogène, présente sur ses différentes faces, y compris à l’arrière du canapé, un savant agencement de tiroirs à plans, de niches et de cases, comme le ferait un immeuble moderne construit sur plusieurs rues, tournant à angle droit ou en arrondi (comme l’immeuble Ford), pour varier les angles de vue. L’ordonnancement rythmique des tiroirs aux longues et minces poignées en bronze verni, privilégiant les lignes horizontales, ne suggère-t-il pas celui des baies éclairant les immeubles tels que les construisait Michel Roux-Spitz au tournant des années trente ? Comparaison architecturale renforcée par le bandeau de laiton qui ceinture en retrait tous les éléments de cet ensemble harmonique. Pour parfaire la symbiose réussie entre architecture et mobilier, on aurait aimé que la laque Duco brune dont le glacis abolit toute rupture entre les différents éléments, ouvrît la possibilité d’une collaboration entre Michel Roux-Spitz et Jacques Émile Ruhlmann qui avait installé dans ses ateliers de la rue d’Ouessant une chambre de laquage industriel inspiré par la carrosserie automobile, matière inaltérable et brillante dont il démontra la perfection au Salon des Artistes Décorateurs de 1929 avec l’appartement à la Cité universitaire d’un prince héritier des Indes - le futur Maharadjah d’Indore ... ! Florence CAMARD (*) Michel Raynaud. Ouvrage collectif sur “Michel Roux-Spitz”, Éditions Margada, Bruxelles 1995, page 86.
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